CONCOURS LITTÉRAIRE 2004

Rapport du Secrétaire général de l'Académie des arts, lettres et sciences de Languedoc.

 
Mon rapport se teinte d’une grande tristesse.  Le très respecté et très aimé professeur André Rascol, que la mairie de Toulouse avait choisi pour présider le jury de nos Prix littéraires, nous a quittés. Unanimement, notre jury et notre académie tout entière ont éprouvé un profond chagrin. La finesse de notre président, son sens littéraire aigu et sa parfaite objectivité avaient contribué à donner au Grand Prix de la Ville de Toulouse une considération digne de notre cité palladienne. Les membres de l’Académie présents dans l’église d’Aurignac, bien petite pour accueillir la foule des amis, ont exprimé à ses enfants nos plus sincères condoléances.
Autre cruelle disparition, celle de Bernard Blancotte, qui fut le fondateur, avec Simone  Tauziède et Ernest-Georges Lannes, le fondateur de l’Académie de Languedoc en 1935. C’est lui qui avait créé, entre autres, notre concours littéraire. Son épouse a été plusieurs années membre du jury et le présent rapport, en lui adressant l’expression de notre affectueuse sympathie, ne peut oublier de rendre hommage à sa précieuse collaboration.
En ce qui concerne le concours, chaque année nous apporte de nouvelles satisfactions. Nous découvrons des talents, nous redécouvrons la fidélité des éditeurs, nous multiplions nos connaissances, notamment dans les domaines qui touchent au pays occitan, à son histoire;  à sa vie quotidienne, à ses grandes figures. Et tout particulièrement cette année, puisque plusieurs auteurs récompensés ont des attaches avec le Languedoc et que le Grand Prix couronne un des maîtres de l’Art français né à Toulouse. En effet :

L’Académie décerne le Grand Prix de la Ville de Toulouse à l’ouvrage de Mmes Geneviève Appert-Sarrabezolles et Marie-Odile Lefèvre : Carlo Sarrabezolles, sculpteur et statuaire, publié par les Éditions d’art Samogy. 
C’est à Toulouse en effet, en 1888, qu’est  né le sculpteur Carlo Sarrabezolles, héros du livre d’art conçu par sa fille et superbement réalisé par les Éditions Samogy. C’est à Toulouse, à l’École des Beaux-Arts, alors dirigée par Jean-Paul Laurens, qu’il connut sa première formation. Geneviève raconte avec émotion le parcours de ce provincial, né dans une famille aisée et heureuse, à qui une solide initiation classique et religieuse au Caousou donna le goût de l’exigence intellectuelle et morale. « Montant », comme on dit,  à Paris, il est l’élève de deux maîtres toulousains, Antonin Mercié et Louis Marqueste, qui le conduiront, à dix-neuf ans, au Grand Prix de Rome de sculpture. Fier de ses origines, il a plaisir à s’exprimer en occitan chaque fois qu’il en a l’occasion !    
Travailleur diligent et imaginatif, il sera surtout reconnu comme l’inventeur de la formule par taille directe du béton frais, sans maquette préalable. Cette technique a fait de lui le maître de la sculpture monumentale intégrée à l’architecture. Il aura produit, écrit le professeur Eliott, conservateur de la Scottish National Gallery, « quelques-unes des sculptures les plus puissantes et les plus affirmées de l’entre-deux guerres. » Plus de deux cents œuvres rendent compte de la fécondité de ce créateur, que les historiens rangeront aux côtés des plus grands, des Bourdelle, qui fut son ami, des Maillol, des Paul Bartholomé, des Joseph Bernard.
D’éminents spécialistes ont apporté leur contribution à l’ouvrage de Mme Geneviève Sarrabezolles : outre le professeur Eliott d’Edimbourg, le professeur Boucart, titulaire de la chaire d’histoire de l’art contemporain à la Sorbonne et Mme Antoinette Lenorman, conservateur général du patrimoine, chargée des sculptures du musée Rodin à Paris,  mettent Sarrabezolles à la place d’honneur dans le panthéon des sculpteurs et des statuaires du XXe siècle.    
Dans cette apothéose, les Toulousains pourront s’étonner du peu d’intérêt que paraît avoir manifesté la Ville rose pour ce grand artiste modeste qui pourtant avait pour elle une grande affection. Certes, une plaque a été apposée sur sa maison natale, rue René-Vaysse. Certes, son  nom a été donné, voici trente ans à une ancienne rue Carlo à Rangueil. Mais aucun témoignage de son  talent n’orne nos places ou nos rues.
Certains Toulousains se souviendront qu’en 1970 était né un formidable projet de Sarrabezolles, dédié « au comte Raimond IV et au Génie de Toulouse » : une statue équestre en pierre, haute de 5 m, dominant un piédestal de brique de 9 m. Le soubassement devait être décoré des écussons des quatorze comtes du Languedoc. « Sur le piédestal, écrivait l’artiste, doivent figurer les médaillons des plus illustres contemporains du comte et, tout autour de la base, les statues en haut relief des huit principales villes du Languedoc. » Ce projet devait être financé par une commande de l’État. Or il ne dépassa pas le stade des maquettes et les dessins allèrent enrichir les collections particulières.
La Ville de Paris,  quant à elle,  vient de manifester qu’elle n’oubliait pas Sarrabezolles. Dans le square du XVe arrondissement qui porte son nom a été récemment érigée une belle statue de bronze « à la grecque », intitulée L’Espérance. Nous avons été quelques-uns de l’Académie à assister à l’inauguration.
Car nous avons gardé pour la fin le fait que Carlo Sarrabezolles a été l’un des premiers présidents de notre Académie. Nous disons aujourd’hui qu’il est de notre devoir, à nous, Académie des Arts, Lettres et Sciences de Languedoc, de solliciter des instances municipales la réouverture du dossier Raimond-IV. Il s’agit d’envisager la recherche, lorsque la conjoncture le permettra, des moyens financiers nécessaires à la réalisation d’un double hommage, indiscutablement mérité, des Toulousains à la mémoire d’un grand artiste et d’un grand homme d’État.

L’Académie décerne le Prix Prosper-Estieu à l’ouvrage de M. Pierre Calmette intitulé Vie et mort de Personne,  éditions Vent Terral (Valence d’Albigeois).      
Le Prix Prosper-Estieu de l’Académie perpétue la mémoire du fondateur de l’École occitane. Il est attribué à une œuvre consacrée aux travaux et aux jours des hommes de chez nous, d’hier ou d’aujourd’hui, fussent-ils les plus modestes.
C’est le cas de ce grand-père que fait revivre M. Pierre Calmette, descendant d’une lignée de petits métayers des monts de Lacaune (Tarn). Sa grand-mère ne parlait pas le français ; ses parents ne conversaient qu’en langue d’oc. Au terme d’une carrière de journaliste à  Paris, Pierre Calmette est parti à la recherche de ce grand-père, travailleur saisonnier, qu’il n’a pas connu, qui est mort dans une tempête de neige sans que sa famille ait jamais su où il avait été enseveli. Qui était-il ? Il n’était rien, il n’était personne. Il était pourtant de ceux qui, par leurs fonctions serviles et leur courage quotidien – comme le rappelle la belle préface de Jordi Blanc, président des éditions Vent Terral – ont été et sont les créateurs et les vrais acteurs de l’aventure humaine.

Le jury de l’Académie a attribué deux Prix du Roman. L’un à Mme Christine Arnaud-Gaillard pour son œuvre intitulée Comberoumal, publiée aux éditions France-Empire (Paris).         
Cet ouvrage est le premier roman de Mme Arnaud-Gaillard. De famille aveyronnaise, élève et étudiante à Toulouse, elle choisit d’être professeur des écoles et, avec son mari instituteur comme elle, exercera dans la région en milieu rural. Prenant sa retraite, c’est à l’université de Toulouse qu’elle soutient une thèse de doctorat de philosophie en 2002.
Le roman introduit le lecteur dans un village du Rouergue, dominé, alors même que la société patriarcale est en voie de disparition, par deux puissances exigeantes : l’Église d’une part, d’autre part la fortune qui impose à tous sa volonté. La rigueur de l’ordre établi depuis des siècles est en train de s’effriter. La guerre, les innovations technologiques contribuent à ouvrir les esprits aux idées nouvelles. Les craquements se manifestent dans la rébellion de la fille du fermier, Émilie, qui, refusant de plier, décide de prendre son indépendance. Se dressent alors les critiques, les ragots, les accusations mensongères, qui empoisonnent le climat et conduisent au désespoir. Le livre parle comme on pense, dans cette langue rugueuse des empoignades verbales, si fréquentes chez ceux dont la vie est un rude labeur et un combat permanent. La vieille loi, dont les maîtres mots sont silence, pudeur, interdits, explose dans un déluge de fureur, d'horreur et d'amour, face à un destin injuste et inacceptable.

Prix du Roman également, Danse la Vigne, de Mme Adeline Yzac, publié aux Éditions du Rouergue (Rodez).
Née en Périgord, l’auteur réside à Montpellier. Parlant et écrivant la langue d’oc, elle publie en occitan et en français dans différentes revues. Elle a obtenu le Prix Jean-Boudou 1999 pour D’Enfança d’en Facia et le Prix Alain-Fournier 2001 pour Le Dernier de la lune (Éditions du Rouergue). Son œuvre, qu’elle destine volontiers aux jeunes lecteurs, est nourrie des légendes du pays d’oc, des cultures occitane et espagnole.
L’héroïne de Danse la Vigne, Estelle, dix-huit ans, s’enfuit de Paris, où se mère rêvait de la voir danseuse étoile. Sa fugue la lance sur les routes du Périgord, vers une village où, petite fille, elle passait ses vacances. Elle va y faire la rencontre de trois Veuves, la Mémé Moulinière, la Mémé l’Épicière et la Mémé Fidèle à rien, qui tiennent salon dans un cimetière, haut lieu des mémoires enfouies. Elles se veulent « diseuses de vie », intarissables dans leurs souvenirs et, selon leur expression, complices de ceux « qui ont un grain ». Estelle auprès d’elles va retrouver les bonheurs d’une vie proche de la nature, guidée par la tradition et les fêtes populaires, tout au long d’une sorte de parcours initiatique qui la fait passer d’un monde artificiel et despotique à un  monde de vérité et de liberté.

Le Jury a attribué son Prix spécial à un ouvrage historique romancé de grande qualité. Prix spécial du Jury : Un Amour de Meaulnes, de Denis Langlois, publié aux éditions Cairn (Pau).
C’est une chronique historique qu’il serait sans doute imprudent de prendre pour rigoureuse, la part de fiction romantique étant indiscutablement présente. Il s’agit d’une aventure prêtée à l’écrivain Alain-Fournier quand il n’était encore que Henri Fournier et que personne ne pouvait se douter qu’il serait, quatre ans plus tard, l’auteur d’un des romans phares de la littérature française, Le Grands Meaulnes. En 1909, jeune sous-lieutenant, Fournier vient terminer son service militaire à la caserne de Mirande (Gers). Durant les cinq mois qu’il y passe, il a une liaison avec Laurence. C’est elle, devenue nonagénaire, qui raconte son amour passionné et tourmenté. L’œuvre, bien menée et fondée sur une sérieuse recherche, est une jolie histoire d’amour. Jusqu’au terme du récit, qui est la guerre et sa tragique conclusion, Fournier devant être tué quelques semaines après le début des combats. Denis Langlois a travaillé plusieurs mois en résidence d’écrivain à Mirande ;  il y revient fréquemment..

Enfin, l’Académie a attribué le Prix de la Nouvelle à un excellent envoi de Mlle Emmanuelle Urien, intitulé Livraison à domicile. Le texte, ainsi qu’il avait été annoncé, est publié dans notre premier recueil de Mélanges.

Je ne voudrais pas terminer ce rapport sans signaler – personne n’oublie que nous sommes en Quercy – l’édition d’un remarquable ouvrage consacré à l’Histoire de Montauban, depuis la fondation en 987 de son abbaye par le roi Pépin le Bref jusqu’à l’épiscopat de Pierre de Bertier en 1674. Il s’agit de la transcription très fidèle, par André Serres et Georges Forestié, et très attendue par les connaisseurs, du manuscrit original du chanoine Perrin de Grandpré, daté de 1682. Cette initiative, réalisée avec un soin et un goût exceptionnels,  ne pourra que séduire les amoureux du Quercy et les fidèles de Montauban.

 


LE PRIX GOUDOULI

La Présidente Simone Tauziède a présenté les lauréats du Prix Goudouli. « L’Académie, dit-elle, a décerné le Prix Goudouli à MM. Édouard Antoulin et Jean Griffoul pour leur œuvre Patois de Dieulefit. Cette œuvre, en trois volumes, réunit un glossaire, des éléments de grammaire et des dictons. Il s’agit d’un travail considérable auquel nous rendons un légitime hommage en lui attribuant le Prix que nous réservons aux travaux concernant la langue occitane. Nous sommes attristés par l’absence des auteurs, qui n’ont pu, comme ils nous l’ont écrit, « quitter leur petite ferme même pour une journée ». Mais nous leur ferons savoir qu’ils ont mérité notre admiration et notre reconnaissance. »