Mme Jeanne-Luce Marcouly

Académie des arts, lettres et sciences de Languedoc. fauteuil n° 16.

 

Discours du Pr. Edmond Jouve, secrétaire perpétuel de l'Académie.

Jeanne-Luce Marcouly est un pur produit de notre Languedoc. Née à Caniac-du-Causse en Quercy, elle s’et installée en Périgord. C’st là qu’elle vit, à Marsac-sur-l’Isle, depuis 1969. Professeur de français (reçue première au concours et, deux ans plus tard, major de sa promotion) pendant vingt-trois ans, elle a enseigné » à Neuvic-sur-l’Isle, puis à Périgueux. Elle s’est aussi frottée à l’administration. Elle a été principale de collège pendant quinze ans, dont dix en Périgord (Lanouaille, Tocane, Saint-Apre, puis Uzerche pendant cinq ans, ce qui lui a permis de découvrir un nouveau département, la Corrèze.
Puis viendra l’heure de la retraite. Elle la mettra à profit à la recherche et à l’écriture. Tout d’abord, pendant quatre ans, elle suit une formation au métier d’écrivain, sous forme de stages. Parallèlement, elle anime un atelier d’écriture à Périgueux, au Centre culturel de la Visitation. Elle écrit et elle publie. Ce qui aujourd’hui lui permet d’être à la tête d’une importante œuvre littéraire, treize ouvrages, presque tous à fondement historique se situant essentiellement au XIXe siècle.
Jeanne-Luce Marcouly sait à merveille faire revivre des personnages qu’elle a connus. En 1996, elle a consacré un ouvrage au Père Jean Siau, homme de Dieu au service des hommes, qui fut longtemps, aumônier du lycée Gambetta à Cahors. Un autre livre publié en 1997 retrace la vie d’Irène Faure, grande dame de l’Éducation nationale, mais aussi mère de Maurice Faure, député-maire de Cahors et signataire du Traité de Rome. Deux ans plus tôt, dans Le Challenge de Bruno, Jeane-Luce présente un sportif de haut niveau, spécialiste de natation, mort d’une leucémie en 1992. Plus tard, dans Le Monastère de la Visitation à Périgueux, elle conte l’histoire des Visitandines depuis 1610.
Jeanne-Luce Marcouly excelle aussi dans la monographie de nos villages perdus. En 1998, elle nous donne Carniac-du-Causse en Quercy et, en 2000, Soulomès, une commanderie du Causse.
Cependant, toute son œuvre est marquée par l’école de la République - obligatoire, gratuite, laïque -. C’est elle qu’elle a servie avec abnégation et enthousiasme. C’est à elle qu’elle veut donner le meilleur d’elle-même. D’où cette saga, Un beau métier, qui n’est autre que celui d’enseignant, personnifié par son héros François Rossignol, auquel elle consacre quatre tomes, le présentant d’abord comme instituteur puis comme professeur, puis dans le couple pédagogique François et Anne.
Il arrive aussi à Jeanne-Luce Marcouly d’oublier les grandes fresques et les hussards noirs de la République pour nous faire partager d’autres passions. D’où un livre gourmand consacré à la cerise dans tous ses états ! Elle croyait peut-être s’être éloignée de son enfance et de ses Causses, mais voici qu’elle revient chez elle, au village des Places et chez ses voisins, nous entraînant dans les vignes du village, au milieu des champs, parmi les pêchers de vigne et les merisiers sauvages, où officie sa mère Alissou, qui, non seulement avait la main verte, mais savait préparer de mémorables « 4 heures », dont mon épouse, mes enfants et moi-même avons bénéficié à Martel, dans le presbytère de l’abbé Jean Siau ! C’st tou cela qu’elle conte dans La Cerise, ne nous faisant grâce de rien sur son fruit préféré. L’émotion n’en est pas absente, lorsqu’elle évoque Le Temps des cerises. Celui-ci fut certes chanté par les Fédérés sur les barricades en 1871, mais ce qu’elle a retenu, elle, c’est que cette belle chanson a bercé son enfance et qu’elle lui rappelle les fêtes votives et les plantureux repas servis par ses oncles et tantes à Soulomès, à Saint-Cernin, à Labastide-Murat, en présence de toute sa famille, en particulier de son frère Gilbert, qui fut mon camarade de lycée à Cahors.   
En ce jour de fête, souffrez que je dédie à Jeanne-Luce quelques lignes de son hymne préféré,- que je ne me hasarderai pas de fredonner en présence du grand troubadour Marcel Amont !

Quand nous chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur !
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur.

Une œuvre aussi importante que celle de Jeanne-Luce Marcouly ne pouvait qu’être remarquée. Pour la seule année 2006 elle a reçu le Prix de la Presse pour son ouvrage Le Périgord à l’École de la République, prix remis aux Archives départementales de la Dordogne. Quant à notre Académie, elle vient de lui décerner le Grand Prix du Jury pour l’ensemble de son œuvre. Je sais même que l’actuel ministre de l’Éducation nationale, maire de Périgueux, porte à notre consœur une grande considération.
Mais Jeanne-Luce Marcouly ne se laisse pas enfermer dans l’écriture. Elle parcourt son Sud-Ouest en tout sens et aussi son Quercy natal et remplit à merveille son rôle de grand-mère. Nous l’avons vue à l’œuvre dans sa belle maison de Marsac, à l’ombre des cerisiers et tout près des escarpolettes.
On serait incomplet si on laissait dans l’ombre son activité de militante, militante politique, mais aussi des causes relatives aux « nouveaux droits de l’homme » que notre ami commun Pierre Bercis a portés au plus haut. Le dernier article de Jeanne-Luce est d’ailleurs paru dans L’Arc-en-ciel, la revue de cette association.
Telle est donc Jeanne-Luce Marcouly, femme de conviction et de passion. Nous nous réjouissons de son entrée dans notre Académie. Je suis sûr qu’elle la servira avec efficacité et enthousiasme.

Réponse de Mme Marcouly.

A l’exposé chaleureux d’Edmond Jouve, Mme Marcouly répondit par une éloquente improvisation, dans laquelle elle allait à son tour évoquer sa vie, sa jeunesse, son mariage « avec un Périgourdin, René Clauzure, fonctionnaire des Postes ». Nous avons plaisir à reconstituer les propos où elle évoque avec une grande sensibilité son enfance dans le Lot.

J’ai vécu au milieu d’animaux domestiques, moutons, chèvres, volailles. Je fus bercée par les clarines des moutons caussenards, aux yeux cerclés de noir et hauts sur pattes. Ces bêtes magnifiques nous regardaient, légèrement apeurées, et brusquement s’enfuyaient, leurs agnelets dans les pattes.
Je fus réveillée par le chant des coqs, vigoureux « cocoricos » du vieux que j’imaginais dressé sur ses ergots, crête écarlate, avant que ne sortît de son cou puissant l’annonce du jour et les coquelets de répondre à l’appel de l’aurore, pour commencer une riche journée qu’on aurait voulue sans fin ;
Cependant, il fallait attendre l’angélus du matin et là, n’y tenant plus, sautant du, lit, je quittais subrepticement la maison pour assister au lever du soleil, là-bas, par-dessus la forêt de la Brauhnie, vers le village de Quissac, spectacle dont je ne suis jamais lassée.
Mes parents étaient de modestes agriculteurs, riches de leurs six enfants qu’ils élevaient avec tendresse et rigueur, dans une maisonnette du village des Places. Ils nous parlaient patois - occitan devrais-je dire -, mais je devins rapidement bilingue. Ma sœur Élisabeth, qui avait quatre ans de plus que moi, découvrit le français à six ans, à l’école où officiait l’excellent couple pédagogique Jeanne et Odet Delmas.
A l’école, le patois était interdit ; donc on s’exprimait en français à l’école et patois à la maison ! Dans cette langue, ma grand-mère, ma mère nous posaient des devinettes, nous racontaient des histoires… Mon père m’apprenait à compter en patois. C’est sans difficulté que je passais d’une langue à l’autre. Le patois pour moi était le règne de l’oralité, pittoresque, enjouée, expressive. L’occitan donne un code pour une transcription écrite. Que de chants patois ai-je entendus au moment des cueillettes, après de copieux repas au moment des vendanges, du dépouillement du maïs, des fêtes de famille !
Aujourd’hui, je me réjouis de voir, ici et là, se mettre en place des écoles bilingues occitanes. La première « calendreta » a été fondée en 1979, à Pau. Il existe actuellement quarante-quatre calendretas, qui accueillent plus de deux mille enfants.