M. Denis Fadda

Académie des arts, lettres et sciences de Languedoc. fauteuil n° 13.

 

Discours du Pr Edmond Jouve, secrétaire perpétuel de l'Académie

Cher Denis, j’ai l’impression de vous connaître depuis toujours ! Une institution et un grand serviteur de la République nous ont si souvent réunis : la Faculté de Droit de l’Université Paris-Descartes et notre cher ministre Jacques Augarde,, dont vous allez, sous peu, occuper le fauteuil dans notre Académie.
Pourtant, vous êtes né sur l’autre rive de la Méditerranée. C’est Bône qui vous a vu naître le 24 novembre 1943. André Fadda, votre père, était un éminent notable. Maire de la ville, il était aussi président du conseil général, délégué à l’assemblée algérienne et membre de l’assemblée de l’Union française.
Tout cela ne dit pas les titres qu’il a fallu faire valoir pour vous accueillir dans notre Académie. Languedocien, vous l’êtes aussi. Si la famille Fadda est originaire de Sardaigne, les familles Charmaty et Terrade, du côté maternel de votre père, sont originaires du Périgord, plus précisément de Mussidan, et du Gers. Quant à la famille paternelle de votre mère, la famille Gassset, originaire du Béarn, elle s’est fixée à Castelnau-Rivière Basse dans les Hautes-Pyrénées au XVIIIe siècle. La cause est donc entendue !
Ce que je dois maintenant expliquer, c’est comment vous êtes devenue un brillant fonctionnaire international. En réalité, vous avez hésité et l’Université vous a beaucoup tenté. Vous avez été assistant puis ingénieur de recherches et chargé de conférences en 3e cycle près l’Université de Paris X et Paris V de 1970 à 1979. Vous n’avez pas fait que passer : comme vous le ferez toujours, vous vous êtes investi dans l’institution. C’est ainsi que vous serez secrétaire général de l’Institut de Recherche sur le Droit des pays en voie de développement, poste dont j’hériterai plus tard, sous une autre forme : celle de l’Observatoire des Relations internationales, du Développement et de la Francophonie.
Vous vous sentirez rapidement à l’étroit dans une université trop repliée sur elle-même. Vous aviez besoin d’horizons plus vastes. Comme l’écrit Pierre Theillard de Chardin dans Le Milieu divin, « plus un homme désire et agit noblement, plus il devient avide d’objets larges et sublimes à poursuivre. La seule famille, le seul pays, la seule face rémunératrice de son action ne lui suffisent bientôt plus. Il lui faudra des organisations générales à créer, des voies nouvelles à frayer, des causes à soutenir, des vérités à découvrir, un idéal à nourrir et à défendre. »
Cet idéal, ce sera pour vous l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Vous deviendrez directeur à la FAO, chef du service de la Conférence générale du Conseil et des relations avec le gouvernement. A ce titre, vous conduirez de très nombreuses missions des Nations Unies dans le monde entier, vous rédigerez des traités, vous créerez ou établirez de nouvelles organisations internationales.
Cette intense activité ne vous empêche pas de dispenser de nombreux enseignements dans des universités étrangères, de participer à d’innombrables colloques et d’intervenir dans de multiples émissions de radio..
Il est vrai que vous êtes bardé de diplômes, plus prestigieux les uns que les autres. Il est vrai aussi que vous êtes à la tête d’une œuvre importante. Je n’en dis pas plus pour ne pas surcharger cette séance, certain qu’on me croira sur parole ! J’ajouterai toutefois deux précisions : la première pour faire état des décorations et distinctions dont la République vous a honoré en vous faisant officier chevalier de la Légion d’honneur et officier de l’Ordre national du Mérite. La deuxième indication concerne votre statut actuel. Il est prestigieux. Conseiller juridique à la FAO, président national du comité de liaison des associations nationales de Rapatriés, vous n’en êtes pas moins revenu à vos anciennes amours en devenant professeur à l’Université de Perpignan.
L’Académie de Languedoc est très fière de vous compter dans ses rangs.

Réponse de M. le Pr Denis Fadda. Hommage au président Jacques Augarde.

Vous m’avez fait l’honneur, Mesdames, Messieurs, de me recevoir dans votre compagnie, auprès de personnalités éminentes ; j’y suis très sensible, comme doivent l’être aussi, d’ailleurs, mes ancêtres issus de la terre occitane. Ils apprécient, j’en suis sûr, cette façon pour moi de revenir à la source.
Il m’est agréable de remercier Madame la Présidente de l’Académie et Monsieur le Secrétaire perpétuel, dont chacun apprécie le travail exemplaire et inlassable qu’ils déploient en faveur de notre Académie. Au Secrétaire perpétuel je voudrais exprimer ma reconnaissance pour la qualité de son accueil. Ses propos trop élogieux témoignent de sa bienveillante amitié à mon endroit.
A l’honneur que vous m’avez fait en me choisissant vous avez ajouté, mes chers confrères, sachant les liens qui m’unissaient à lui, l’extrême délicatesse de m’offrir de rejoindre le fauteuil qu’a occupé Jacques Augarde, ancien président et président d’honneur de votre Académie. Vous m’avez touché profondément, mais vous n’avez pas rendu, pour autant, ma tâche facile. Car comment succéder à un tel homme ?
Un ami de Jacques Augade a dit de lui qu’il était un homme façonné avec amour par la Garonne. La Garonne le voit naître, en effet, en 1908 à Agen et c’est à Espalais, propriété de son ascendance maternelle, située au bord même du grand fleuve occitan, et où, toute son enfance, il a passé des vacances merveilleuses, qu’est née sa vocation de poète. Mais s’il a chanté la Garonne, il a aussi chanté le Tarn, auprès duquel son opère l’a fait vire un temps et où, à Montauban, il a été élève de Saint-Théodard.
Mais s’il a aimé profondément la terre occitane, et lui a été d’une grande fidélité, cela n’a pas empêché un attrait certain pour d’autres cultures - je pense notamment aux liens étroits qu’il avait noués avec la Chine, le Japon, le Portugal, Maurice - et un très grand attachement à l’Afrique du Nord qu’il a gagnée en 1943 pour rejoindre l’Armée d’Afrique.
Dans les années quatre-vingts, répondant à la question : « En quel siècle auriez-vous aimé vivre ? », sans la moindre hésitation Jacques Augarde a dit : « Au XXIe siècle, bien sûr ! », laissant sans voix le journaliste qui se proposait de brosser son portrait et qui, connaissant l’homme de culture qu’il était, s’attendait sans doute à l’entendre évoquer le XIXe, le XVIIIe siècle, voire l’Antiquité !
Jacques Augarde est tout entier dans cette réponse donnée de jour-là. Éternellement optimiste, regardant toujours devant, construisant toujours, mais construisant dans le respect attentif du passé, dans la fidélité.
Dans le respect de ceux qui l’ont précédé et, avant tout, de ses chers Tabors, qu’il a rejoints au sortir des geôles espagnoles. Ces Tabors avec qui il est entré dans Rome, avec qui il a combattu ensuite en Provence, en Alsace, en Allemagne et jusqu’à Berchtesgaden,. Lui, leur officier, leur, protecteur, il leur a été fidèle totalement, leur consacrant des ouvrages dont on tira un film.
Fidélité au Maroc, à l’Algérie, à cette Algérie qu’il a si bien servie, comme l’ont fait d’ailleurs avant lui son père et son grand-père, tous deux médecins généraux. Fidélité à sa chère ville de Bougie, qui l’avait adopté et avait fait de lui son édile. Cette fidélité, il l’a manifestée jusqu’au bout.
Que les Bougiotes ont eu de chance de l’avoir comme maire, conseiller général, député, sénateur ! Il a œuvré pour eux inlassablement, permettant un développement économique étonnant de la ville – il a notamment obtenu que l’oléoduc d’Hassi-Messaoud arrivât dans son port –, menant par ailleurs une action sociale et culturelle remarquable et portant une attention telle aux questions d’éducation que Bougie a connu le taux de scolarisation le plus élevé de toute l’Afrique du Nord.
Son enthousiasme, sa combativité, son zèle, au sein de tant d’instances et au service de tant de causes, ont été bien vite remarqués au sommet de l’État, au point que Robert Schuman, le père de l’Europe, dont il devait devenir l’ami, l’a appelé dans son gouvernement. Et il a été le premier ministre chargé des Affaires musulmanes qu’ait connu la France et ce, pour la plus grande fierté de tous les Français d’Algérie, de tous les Algériens.
Ces Algériens qu’il n’a jamais abandonnés, se faisant un devoir impérieux de les accompagner dans l’adversité, dans toutes les épreuves et d’agir pour que justice leur soit rendue.
Car, homme de fidélité, homme de devoir, oh combien ! il a été aussi un homme épris de justice, qui, jusqu’à son dernier souffle, a cherché à faire entendre les légitimes attentes et à apaiser les douleurs.
Et avec quel dévouement ! Il a aidé, il a servi inlassablement, oubliant totalement de penser à lui-même, avec cette grandeur d’âme qui distingue les élus.
Lorsqu’on sait les actions qu’il n’a jamais cessé de mener, actions qu’il a entreprises avec tant d’abnégation, sans jamais de décourager, on s’étonne qu’il ait pu écrire autant qu’il l’a fait, construire une œuvre littéraire, obtenir des prix, présider des jurys littéraires ou de peinture, des sociétés de beaux-arts, faire autant qu’il l’a fait pour les arts, par amour du beau. Peut-être est-ce parce qu’avec Dostoïevski, qui a tout au long illuminé sa vie, il pensait que « la beauté sauvera le monde ».
Je me garderai bien d’esquisser une liste de ses œuvres, mais je soulignerai la diversité de ses inspirations : essais (notamment sur les Balkans, dont il était l’un des meilleurs spécialistes), biographies (sa remarquable biographie d’Alexandre de Yougoslavie, le souverain si injustement assassiné à Marseille, a été couronnée par l’Académie française) , études historiques, préfaces à des ouvrages très divers, sans oublier, évidemment, son œuvre poétique.
Milliaires lui a valu un autre prix de l’Académie française ; dans ce recueil, chaque borne de l’épopée de ses Tabors pour libérer la France, il l’a marquée d’un poème, et sur chaque milliaire figure le nom d’un de ses camarades tombé au combat. En 1932 il a consacré un très beau livre au poète de langue d’oc Jasmin, ce sage qu’il avait un peu pris pour maître. Et il fut bien normal qu’il présidât pendant longtemps et pratiquement jusqu’à ses derniers jours, le Jasmin d’argent, cette société littéraire de l’Agenais, qui, chaque année, décerne des prix très appréciés.
La somme de ses écrits révèle à la fois l’acuité de sa sensibilité, la profondeur de sa réflexion et l’immensité de sa culture. Les mots manquent pour définir une existence aussi riche, vécue avec autant d’intensité, dans laquelle le sport trouvait sa place. Car il avait une passion pour le football, qu’il a pratiqua avec bonheur et qui l’a amené à exercer de hautes fonctions dans ses instances nationales. En somme, une vie accomplie pleinement, avec la sérénité de celui que la médiocrité a toujours épargné.
Je me souviens de l’embarras de notre confrère Durand-Réville, qui, le recevant à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, se lamentait de ne pouvoir trouver de défaut en lui. Oui, bien sûr, parce que la vie de notre confrère a été une longue ligne droite, parce qu’il a été un être d’exception. Etre d’exception, car il a toujours été fidèle à ses idées, n’a jamais renoncé à combattre pour elles et n’a jamais hésité non plus, ô vertu suprême ! à se battre pour les idées de ses amis. 
Homme d’exception aussi car le combattant exemplaire qu’il a été a su renoncer à certaines victoires pour ne pas avoir à utiliser des armes qu’il jugerait indignes, faisant sienne cette pensée de Camus : « Il s’agit de servir la dignité de l’homme par des moyens qui restent dignes au milieu d’une histoire qui ne l’est pas. » Et Dieu sait si, dans certaines périodes – et je pense très précisément aux événements d’Algérie – il a été coûteux pour lui, quelle force morale il lui a fallu pour suivre la ligne droite de la dignité.
Homme d’exception encore, car bien qu’il fût un homme de raison, de justice, de mesure, il fut aussi capable de démesure, au sens que lui donne saint Augustin quand il écrit : « La mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure. » Et c’est bien le souffle de Dieu qui le porta à aimer les autres, tous les autres, qui qu’ils fussent et d’où qu’ils vinssent.